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Dans les bottes d’un ancien CDO

Authors Photo Alexia Plathey | April 23, 2024

Jean-Paul Otte a rejoint récemment Precisely en tant que responsable des services « Data Strategy » pour l’Europe. Sa spécialité ? La data ! Il s’est prêté au jeu d’une interview où nous avons discuté de son parcours notamment en tant qu’ancien CDO pour mieux comprendre les défis auxquels il a été confronté,  et comment sa réflexion et son expertise autour de la gouvernance des données se sont forgées.

Bonjour Jean-Paul, peux-tu nous parler tout d’abord de ton parcours ?

Après un début de carrière dans l’informatique bancaire, je me suis tourné vers le conseil et plus  particulièrement autour de la Business Intelligence (BI) dès 2004. C’est à ce moment que j’ai pris conscience que, sans une prise en main de la gestion de la qualité des données, ces initiatives BI étaient vouées à l’échec !

L’amélioration de la qualité des données, en tant qu’élément clef de toute initiative liée à la  stratégie de données, est donc un sujet qui m’a interpellé et qui a eu son importance pour les années à suivre. En 2006, j’ai ainsi rejoint Business & Decision, une agence de conseil française présente au niveau européen, pour y développer une ligne de métier autour de la qualité des données. Cela s’est rapidement étendu à la gouvernance des données permettant d’améliorer structurellement cette qualité. Avec une équipe d’une trentaine de consultants, nous avons développé un « framework » permettant à nos clients de gérer efficacement leurs données dans des projets CRM, Gestion des risques ou encore Gestion de la performance qui constituaient le cœur de métier de Business & Decision.

Ensuite, en 2013, j’ai ressenti le besoin d’adopter une approche plus stratégique et transversale pour véritablement permettre aux organisations de tirer toute la valeur de leurs données. C’est ainsi que j’ai créé « iValue Consulting », où j’ai pu accompagner un bon nombre d’entreprises dans la définition et la mise en place d’une « stratégie data » avec comme pierre angulaire la gouvernance et la qualité des données.

De 2017 à 2020, j’ai notamment conduit l’implémentation de la gouvernance de données chez Elia Transmission, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité en Belgique.

Ensuite, avant de rejoindre Precisely, j’ai occupé pendant 2 ans et demi le poste de « Chief Data Officer » chez Degroof Petercam, une vénérable institution financière belge où j’ai pu mettre sur les rails leur transformation vers une entreprise « Data driven » avec succès.

Ton intérêt pour la data n’est pas venu de suite mais s’est construit au fil de tes expériences donc ?

L’intérêt et la prise de conscience de la valeur de la data et l’importance cruciale de sa qualité ont toujours été présents, mais, effectivement, la manière de faire en sorte que les entreprises puissent tirer toute la valeur de leurs données a évolué, façonnée par les défis et les expériences.

Les cas d’usages se sont multipliés au fil du temps, sous l’impulsion des différentes législations, d’une prise de conscience de l’importance des données et de leur rôle clef dans les processus de prise de décision, d’une demande accrue en matière de transformation digitale et de la volonté d’obtenir les avantages potentiels de l’analyse prédictive et de l’intelligence artificielle.

Toute ces évolutions ont amené de plus en plus d’entreprises à faire appel à un Chief Data Officer (CDO) pour mettre en œuvre une véritable stratégie data.

Ma vision et mon approche du sujet ont dès lors évoluées avec la maturité des entreprises. La grande leçon que je retiens et qui est toujours d’actualité, c’est qu’il faut embarquer l’ensemble de l’organisation dans ce programme de transformation, du comité de direction à n’importe quel utilisateur ou producteur de données dans l’entreprise.

Laisser quelqu’un sur le bord du chemin n’est pas une option !

Si je comprends bien, le rôle de CDO n’a pas vu le jour depuis si longtemps ?

Oui, les premiers CDO sont apparus en Europe bien après la crise financière, suite aux contraintes réglementaires qui ont été imposées au secteur financier. Ce n’était pas le plus sexy des rôles au départ. Le défi des CDO a été d’abord de transformer ces contraintes en opportunités pour les entreprises de tirer de la valeur de leurs données.

Aujourd’hui, les objectifs du CDO constituent encore une « cible mouvante », qui dépend de la maturité des organisations, du positionnement du CDO dans l’organigramme et, bien entendu, des priorités des dirigeants.

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Quels étaient justement tes défis en tant que CDO à l’époque?

Mon premier objectif était clair. Cela faisait plus de deux ans que le régulateur avait pointé du doigt les carences de l’organisation concernant la gouvernance des données. Le temps des slides et autres descriptions de politiques ou encore de rôles et responsabilités théoriques était révolu et il était urgent de concrètement implémenter toutes ces bonnes pratiques.

Je savais qu’en brandissant simplement le « bâton » du régulateur, je n’allais pas enthousiasmer grand monde, or, j’avais besoin du soutien des métiers. J’ai donc utilisé la « carotte » de l’amélioration de la qualité des données dont le métier souffrait depuis longtemps pour commencer à embarquer mes « ambassadeurs ». La création d’un centre de compétences « BI » supportant une approche « self-service » a aussi contribué à renforcer la motivation des utilisateurs à embarquer pour le programme « Data ».

Si je devais citer, de manière plus générique, quelques-uns des principaux défis du poste de CDO, j’utiliserais ces mots clefs : l’alignement, le capital humain, la collaboration et enfin la culture data.

Tout d’abord, au niveau de l’alignement, il faut pouvoir instaurer une vraie relation de confiance, s’assurer que la direction sera en accord avec nos décisions et nous permettra de mettre en place les actions et budgets nécessaires pour la bonne gestion des données.

Ensuite, au niveau humain, il faut impérativement casser les silos et insuffler un vent de partage et de collaboration entre les équipes et leur permettre de parler le même langage.

Il faut également sécuriser l’implication des data stewards côté business et accompagner les équipes, et notamment faire en sorte que les managers prennent la responsabilité de domaines de données.

C’est ainsi une vraie culture des données peut se propager dans l’organisation. Le CDO est garant de cette culture et de sa diffusion, et doit appuyer pour l’intégrer dans le « day to day ».

Enfin, un dernier défi est de trouver les leviers qui vont aligner et transformer la stratégie métier en stratégie data.

As-tu une anecdote à nous partager ? 

Ce qui m’a marqué et que j’aurais dû prendre plus en compte c’est une remarque du CEO lors de ma prise de poste en tant que CDO. Dès le premier jour, il m’a regardé et m’a dit très naturellement « Jean-Paul, je ne comprends rien à ce que tu vas faire mais je sais que c’est important ! ». J’aurais dû ici de suite comprendre que chercher à expliquer en détails la gouvernance des données tel quel, sans aller plus dans la démarche de montrer en quoi c’est nécessaire, cela pouvait faire que cela ne fonctionnerait pas. On doit en effet « traduire » la donnée et son univers pour le rendre accessible à tous et pour que la collaboration et l’implication prennent vie.

Et un conseil à donner à tout CDO qui démarre ?

Je ne sais pas si je n’en ai qu’un mais je dirais que le principal serait de ne pas rester focus que sur la gouvernance des données, ni sur essayer de l’expliquer mais plutôt de mettre toute son énergie pour démontrer la valeur qu’ont les données et ce qu’elles vont apporter au métier. Je n’ai d’ailleurs pas du tout suivi ce conseil moi-même au départ car je n’en avais pas encore pris toute la mesure et l’importance. Je l’ai appris chez Degroof Petercam.

Tout le monde spécule sur les tendances 2024, selon toi quels seront les points clefs 2024 pour les CDO ?

Pour moi il y a quelques grands sujets qui ressortent et exercent une certaine pression sur la profession car exigent d’être réactifs et efficaces, à savoir le reporting ESG et toutes les données requises par  les nouvelles technologies telles que l’IA. Pourquoi ? Car cela sous-entend qu’il y a un volume très important de données à collecter, comprendre, traiter, enrichir… et cela ne va faire qu’exploser.

Au final, une donnée, qu’elle soit liée aux finances de l’entreprise ou aux émissions carbones, reste importante et présente des informations pertinentes qu’il faut assimiler et prendre en compte.

L’Intelligence Artificielle, elle, va ajouter de la pression parce qu’elle se nourrit de data. Si la qualité de ces données n’est pas au rendez-vous, alors il sera impossible d’obtenir des analyses et résultats fiables.

De nouveaux rôles vont aussi pouvoir voir le jour probablement car le CDO a beau avoir plusieurs casquettes il doit rester focalisé sur la donnée et ce qui gravite autour. Mais il doit s’entourer d’experts sur tous ces sujets parallèles pour l’accompagner au mieux.

Le mot de la fin ?

Un jour, la gouvernance des données en elle-même ne sera plus qu’un lointain souvenir, telle une « Madeleine de Proust », dans une culture des données beaucoup plus avancée et axée sur l’excellence des données. Si nous échangions sur le sujet ?

 

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